Dans les premiers jours de mars 1922, les trois actionnaires de la « Sté des Grès Flammés », usine de La Forge à St Amand en Puisaye dont faisaient partie le contre-maître Fernand NORMAND ainsi que l'aide-comptable Victor GAUGEY, étaient réunis au siège social, pour prendre connaissance des bons résultats de l'exercice précédent. Après délibération, quitus fut donné à Fernand NORMAND pour sa bonne gestion, et d'un commun accord fut accordée une augmentation substantielle pour lui et pour Victor GAUGEY. C'est alors que Fernand NORMMAND posa la question : « - Si je vous donnais ma démission est ce que vous l'accepteriez ? ».
Après un moment d'étonnement bien compréhensible eu égard aux deux augmentations de salaires accordées, les actionnaires demandèrent à réfléchir. Après délibéré, la liberté fut rendue à Fernand Normand, mais Victor GAUGEY fut licencié, en tant que comptable et beau père de celui qui était susceptible de devenir un concurrent.
Dès le lendemain, Fernand NORMAND prit contact avec un certain Lion de Paris, héritier d'une poterie sans activité depuis une quarantaine d'années, au lieu-dit « Les Mottes ». La vente se concrétise en juin 1922. Ainsi débute sur un coup de tête la Poterie des Mottes.
Le plus difficile était à venir pour ce nouveau potier de 26 ans dont le seul capital était une pioche et une pelle pour enlever l'herbe et les orties autour d'un four couché et de sa « boutique ». C'est grâce à son courage et à ses connaissances du métier, sans oublier l'entregent commercial de Victor GAUGEY qui l'avait rejoint, que l'affaire put se développer malgré la crise qui s'annonçait. Elle prit le nom commercial de « Manufacture de poteries de grès NORMAND-GAUGEY ».
En 1926, fut construit un nouveau bâtiment de 25 m sur 7 m sur un ancien cassonnier. Il y fut installé deux tours de potiers avec moteur électrique à transmission à arbre et courroies. Ce fut une petite révolution dans le monde des potiers dû au savoir astucieux d'un mécanicien amandinois, Roger BOURGEOIS. Avec l'aide d'un tourneur de La Borne, Camille VANNIER, la production augmenta sensiblement.
Dès 1923, la fabrication s'effectuait ainsi : Fernand NORMAND assurait la production aidé par son jeune frère André, lui aussi tourneur. Le premier apprenti formé s'appelait Louis DIEVAL. Il devint par la suite un très bon tourneur de grosses pièces. Victor GAUGEY se chargeait de la comptabilité, de l'emballage, des expéditions en gare de Cosne et de la prospection de la clientèle en Bretagne ; rôle important s'il en fut.
Quand Victor GAUGEY mourut en 1928, la poterie des Mottes était la première à St Amand tant en chiffre d'affaires qu'en qualité de fabrication. Des premiers prix aux comices agricoles attestent cette promotion. A cette époque, le personnel se composait de Georges BOURGEOIS dit « Boutaud » touneur de grosses pièces, Maurice CHOTARD, tourneur de pots à lait sans oublier Louis DIEVAL et Camille VANNIER déjà cités.
Depuis 1922, jusqu'en 1947, la cuisson s'effectua dans le four couché de 80m3 . La cuisson durait 70 heures environ avec sortie de flamme à travers une grille, car il n'y avait pas de cheminée. La montée en température s'estimait par des témoins de terre mais surtout avec l'oeil du potier. On peut dire que la cuisson était la phase de fabrication la plus délicate mais aussi la plus pénible. Il en était de même pour l'enfournement et le défournement, car il était nécessaire de marcher sur une sole de sable brûlant, en pente, par une température de 50 à 60 degrès ; Le combustible employé était le bois, abondant en Puisaye, classé ainsi : Le grand bois pour le petit feu, les bourrées pour le grand feu qui pouvait absorber jusqu'à 3000 fagots. Ce bois, acheté au stère pour le grand bois, et à l'unité pour les bourrées était transporté par charrettes de la forêt jusqu'aux Mottes.
A l'époque, les poteries traditionnelles en activité étaient les suivantes :
Fernand NORMAND, pour répondre à la demande, a loué à cette époque une poterie fermée où se trouve actuellement le CNIFOP. Elle appartenait à un ancien potier, M. FAULE, dit « Faulon », et dès lors Fernand NORMAND contrôla les ventes de la majorité des grossistes de France.
Toujours dans l'optique d'innovation et de mieux faire, afin de se rapprocher de la qualité des produits de grès fin de CORNEAU-LEVEQUE de Myennes, des grès de Bonny, des poteries RENAULT-CRIBIER d'Argent sur Sauldre, il procède à l'installation d'un filtre-presse d'occasion acheté à PICARD du Moulin Porcher.
La crise de 1929 qui avait touché déjà à cette époque les potiers de St Amand, dans les cours desquels s'entassaient les saloirs en attente de jours meilleurs, fit une première victime en 1934 : Mme NORMAND-DRAP. Fernand NORMAND aurait pu, à la demande du notaire, reprendre l'affaire de sa mère, berceau de sa famille. Par attachement pour « Les Mottes », il refusa et la poterie fut cédée à Aristide MALLET.
En 1935, fatigué, Fernand NORMAND abandonne la poterie du Faubourg louée à M. FAULE à son tourneur Camille VANNIER qui développera une petite production de vases de jardin.
Dans l'esprit de l'époque, il adjoindra à sa production de saloirs au sel une petite collection de pièces émaillées signées ainsi que des pots de jardin eux aussi émaillés. Alors que ses confrères se contentaient de vendre sur leur lieu de production, il fut le premier à créer un magasin indépendant à son domicile dans le bourg de St Amand. Il connut d'ailleurs un certain succès à une exposition commerciale à Cosne en 1938. A cette date, d'après des photos du personnel et livres de paie, l'effectif était de 8 à 9 personnes. Mais durant la guerre, la poterie tourna au ralenti, faute de main d'oeuvre, ce qui ne l'empêchait pas de faire une fournée de 80 m3 tous les mois avec deux apprentis tourneurs ; André NAULT, Gilbert GIRAULT et deux tourneurs confirmés ; Yvan BILLEBAULT dit « Finaud » et PANARIOU originaire de La Borne.
Depuis sa fondation, c'est à dire depuis 1922 et jusqu'en 1945, la terre à grès provenait du lieu dit « Les Guimards ». L'extraction nécessitant deux ouvriers, se faisait par puits et galeries. L'un au fond extrayant la terre avec pic et pelle, l'autre remontant à l'aide d'un treuil les corbeilles d'argile. Le stockage se faisait en forme de pyramide, un instituteur venait, et calculait son volume afin de chiffrer la rémunération des ouvriers payés à la tâche ainsi que le propriétaire du champ sous forme de royalties. Ce fut en 1945 que la Poterie des Mottes eut sa propre carrière. Fernand NORMAND racheta alors l'ancienne carrière à ciel ouvert de « La Carte » aux Mottes ; l'approvisionnement se fit par pelle mécanique « Bondy ». L'extraction par puits fut d'ailleurs interdite en 1952 par l'administration des mines ; elle n'avait pourtant généré aucun accident ! L'exploitation de l'argile de La Carte, de nature schisteuse et micacée se prolongea jusqu'à épuisement en 1968, et continua jusqu'à la fermeture de l'usine dans le champ du Morin jouxtant celui de la Carte. Cette argile se vitrifie autour de 1220° avec un retrait au séchage assez important.
Après la guerre, en 1947, Fernand NORMAND fit construire sur les plans de l'ingénieur belge COULHON un four à flamme renversée de 60 m3. Ce four alimenté au charbon, était utilisé uniquement pour les saloirs glaçurés au sel. C'était un four rectangulaire à huit alandiers qui permettait des cycles de cuisson / refroidissement beaucoup plus courts, en 10 jours, grâce à un temps de montée en température de 48 heures. Il nécessitait 5 à 6 tonnes de charbon de Blanzy. Ce combustible était parfait, produisant beaucoup de machefer, on obtenait des cuissons oxydantes favorables aux grosses pièces.
Puis avec la construction d'un deuxième four en 1949, également de 60 m3, il put effectuer une fournée par semaine avec seulement neuf personnes ; Ce furent les années de croissance de l'après-guerre, la demande était si importante que l'ensemble des poteries de la région ne purent répondre aux besoins. A partir de 1950, en quelques années, il remplaça la fabrication des saloirs tournés main par un façonnage au moule par calibrage. Ces moules ont été réalisés avec l'aide d'un modeleur de Digoin ; L. ROBERT. Ce fut cette année là que son fils Robert, frais émoulu de l'Ecole Nationnale Professionnelle de Vierzon (section céramique) vint le rejoindre. C'est alors que la poterie des Mottes prit le nom commercial de « Normand et Cie, poterie des Mottes ». Après son arrivée, l'effectif était de 20 personnes environ, sans compter les ouvriers à temps partiels comme les « tireux de terre ».
Après une année de mise au point, en 1956, Robert utilisera le fuel comme combustible pour ses cuissons. Les alandiers furent transformés afin d'adapter des brûleurs, ce qui permit de réaliser des cuissons plus économiques en combustible et en main d'oeuvre. A partir des années 60, Fernand s'éloigne progressivement de son statut de chef d'entreprise pour laisser la place à son fils Robert. Il prendra sa retraite en 1961.
Deux entité furent créées « Normand et Cie » pour les saloirs et « Grès décors » pour les vases de jardin. Cette deuxième société fut supprimée en 1970. Entre 1960 et 1970 la poterie des Mottes traversa la période la plus prospère de son existence, et avait acquis une certaine notoriété auprès de ses clients. Une grande satisfaction pour Fernand qui décédera en 1973.
En 1965, construction d'un troisième four COULHON avec voûte surbaissée à 1m90, le volume utile d'enfournement ramené à 45 m3 permettait de cuire de petites pièces sur échapades fixes. En 1969, construction d'un quatrième four de 4 m3 et en 1977 installation d'un nouveau filtre-presse moderne à dépressage automatique hydraulique.
Larges extraits d'un texte écrit par Robert Normand en décembre 1996. Toute représentation ou reproduction interdite sans autorisation.
En 1981 départ en retraite de Robert en pleine crise économique provoquée par le choc pétrolier de 1979, et reprise de l'entreprise par Jean-Luc. Sur les conseils du comptable la sarl est transformée en SA au capital de 250.000 francs, choix qui s'avérera peu judicieux par la suite. La situation financière de la poterie étant très dégradée à cause du renchérissement de l'or noir, du prix de revient des cuissons, et du vieillissement de l'outil de travail en général, la décision est prise en commun d'équiper les 3 fours (le petit de 4 m3 a été démoli) avec des brûleurs fonctionnant au fuel lourd à la place de ceux fonctionnant au fuel domestique. L'avantage est double : le fuel lourd étant en fait un résidu de pétrole après raffinage il est beaucoup moins cher, et de plus il est possible de récupérer la TVA (de 18,6% à l'époque) ce qui n'était pas le cas avec le FD même à usage industriel. Malheureusement l'équipement d'occasion de préchauffage du fuel lourd à 80 °C et la mise au point de l'installation singulière seront longs et onéreux avec un fonctionnement chaotique durant 6 années jusqu'en 1985, date à laquelle 2 fours à propane d'occasion sont acquis auprès de Michel Pointud qui partait en retraite à Monnaie (37). L'investissement dans le fuel lourd aura alors au moins eu le mérite d'assurer la survie de l'entreprise pendant quelques années jusqu'au passage au propane. En 1987 est construit un troisième four à propane d'une capacité de 4 m3 utiles permettant des cycles de 24 heures de froid à froid puis un quatrième identique avec des améliorations l'année suivante. Ces 2 derniers fours à fibres céramiques à haute teneur en alumine (+ brûleurs atmosphériques) ont été conçus et fabriqués par Jean-Luc et donneront satisfaction durant des centaines de cuissons en étant souples et économiques.
Toujours sur le plan technique, 2 calibreuses à vérins pneumatiques de marque Cuber (Italie) seront installées pour anticiper le départ en retraite du principal et excellent tourneur, Raymond Bailly, qui aura passé pratiquement toute sa vie active à la Poterie des Mottes. En parallèle un investissement coûteux mais indispensable est effectué dans plusieurs séries de moules en plâtre destinées aux nouvelles calibreuses.
Sur le plan commercial, la crise économique démarrée en 1979 aura fait énormément de dégâts dans les poteries de St Amand dont les effectifs vont fondre en moyenne de 50 % en 3 ans de temps. Une réorganisation totale de la commercialisation est entreprise dès 1979 avec la création d'un catalogue inexistant auparavant et la mise en place d'un réseau commercial composé de représentants VRP et agents commerciaux, étant donné que beaucoup de grossistes traditionnels deviennent défaillants en laissant souvent des impayés.
Par ailleurs un magasin de vente de 40 m2 installé en 1982 complétera avantageusement la réorganisation des ventes en apportant de la trésorerie régulière avec des marges plus confortables.
Jusque dans les années 70 les saloirs et autres objets utilitaires constituaient le cheval de bataille de la poterie des Mottes. Avec l'arrivée des congélateurs et les changements d'habitudes de consommation, il a fallu créer de nouvelles gammes de contenants plutôt orientées vers la décoration de jardin et de la maison. Cornelia, la femme de Jean-Luc crée alors une collection de pots gravés et décorés à la main, qui auront un certain succès. Une grosse commande de plus de 40 m3 de cache-pots sera même expédiée par voie maritime jusqu'au Japon. D'autres gammes d'objets décoratifs et notamment des articles en pierre reconstituée (vases, animaux...) fabriqués en Grande-Bretagne seront adjoints à la gamme des pots en grès à la demande des représentants.
La poterie des mottes continuera ainsi son évolution avec une dizaine de salariés jusqu'à fin 1998, date à laquelle un incendie accidentel détruira partiellement les bâtiments de l'entreprise qui sera obligée d'arrêter définitivement son activité quelques mois plus tard.
Texte Jean Luc Normand, 2019. Toute représentation ou reproduction interdite sans autorisation.