Diplômé de l'Ecole Boulle, section sculpture en 1930, il y gagne un surnom qui ne le quittera plus : Apollon. Après un bref apprentissage dans un cabinet d'architecture, il découvre la céramique lors d'un séjour à Dieulefit en 1941.
En 1945, il s'installe à Paris où il ne cessera, durant 9 ans, de multiplier les formes et diversifier les usages. Il aborde à la fois la céramique monumentale et les pièces de forme. Il expose dans différentes galeries, participe régulièrement aux Salons des Artistes Décorateurs à Paris, et à diverses expositions en France et à l'étranger : Rio de Janeiro, Vienne, Toronto, Rome, Milan ou encore au Caire... il rencontre un certain succès notamment pour ses noirs mats et profonds.
De leurs côtés, Jeanne et Norbert Pierlot acquièrent le château de Ratilly en 1951 ; installent leur atelier de céramique et les fours, indispensables pour le travail. En 1952 débutent les premiers stages destinés à payer le château et l'atelier. En 1953, le nombre de stagiaires s'accroît, c'est à cette époque que le couple Jouve séjourne à Ratilly, exténué par un labeur quotidien de commandes pressantes, qu'il s'était imposé pendant plusieurs mois, . En effet, il était atteint de saturnisme, et dangereusement affaibli ; conséquence de la pulvérisation d'émaux à base de plomb qu'il utilisait dans son atelier parisien minuscule.
Georges Jouve se rétablira rapidement au bout de quelques semaines passées en Puisaye. Voyant Jouve un peu désoeuvré, Norbert Pierlot l'invite à faire quelques pièces en grès de la région. C'est alors que pendant deux jours entiers, debout près d'un tourneur local, Georges Jouve guidera celui ci vers des formes très personnelles. Et les pots succédaient aux pots, les planches aux planches.
Durant les jours qui suivirent, Jouve décorait et surveillait ses pots, les façonnait, les changeait de place suivant ses brusques fantaisies, "toujours léger, toujours muet, toujours la pipe à la bouche".
Vint le jour de la cuisson. Nobert PIERLOT a décrit l'essentiel de cette cuisson dans quelques pages d'un livre précieux consacré à la mémoire du maître potier :
" C'était une cuisson de grès, à très haute température. Dans le four, il n'y avait que les pots de Jouve que j'avais enfournés la veille avec mille précautions. A 4 heures du matin, le four était allumé. Il faisait une merveilleuse journée d'été. Les stagiaires allaient et venaient, dans l'effervescence. Nous allions lentement pour éviter qu'un coup de feu brutal ne compromette tant de travail. Nous n'avions pas alors d'indicateur mécanique de la température. Seulement des "montres", petits cônes, disposés dans le four parmi les pots, dont les inclinaisons successives correspondent à des températures déterminées et nous renseignent sur la marche du four et son accomplissement. Les heures succédaient aux heures. A l'intérieur du four les pièces commençaient à se détacher, éclairées par les flammes qui les léchaient, puis, peu à peu, de rouge sombre, devenaient rouges, puis oranges. Maintenant elles étaient pâles et le soir tombait. Nous nous relayions au four, alimentant sans cesse le foyer avide. Sa chaleur devenait éprouvante, la fatigue nous gagnait. Enfin, vers 10 heures du soir, la première des quatre montres s'inclina doucement, puis s'affaissa. Le four était à 1230°. La joie fut de courte durée car visiblement, maintenant, le four avait des difficultés. Le tirage se faisait moins bien, les braises montaient dans le foyer et commençaient à obstruer les carneaux. Je décidais de débraiser, opération épuisante, les braises incandescentes étant transportées dehors pour favoriser le passage des flammes. La manœuvre réussit et vers minuit la deuxième montre tomba. Mais il fallait poursuivre encore. Il fallait absolument monter encore d'environ 50°. Autour de nous, la lassitude marquait les uns et les autres. Le silence se faisait plus pesant. Quelques stagiaires étaient partis, déçus que l'épopée glorieuse se traînât, d'autres, interminablement, me passaient le bois que je disposais dans le foyer qui rayonnait de plus en plus et me brûlait cruellement, mais la crainte qu'un élève inexpérimenté ne fît une fausse manœuvre m'empêchait de me faire remplacer. 1 heure. 2 heures.3 heures. Près de moi, Jouve ne disait rien. Les heures passaient interminables, exténuantes. Les deux petits cônes étaient toujours là, imperturbables, dans la lumière du four qui devenait de plus en plus blanc. Enfin la troisième montre tomba. Il était 3 heures 30. Jeannette disait qu'il fallait arrêter, que cela était assez cuit, surtout à certains endroits plus exposés, mais je ne voulais rien entendre. Le jour se levait. Je fus étonné en sortant, épuisé, je laissais tout de même le four un moment et quittais la salle illuminée, de trouver dehors l'aube pâle et le froid du matin. Vers 6 heures, nos jambes nous portaient à peine. Les stagiaires étaient prostrés, assis par terre dans le désordre sauvage de l'atelier. Jouve allait du foyer au regard du four surveiller la dernière montre, inflexible. Cela devenait intenable. Nous étions prêts à abandonner, si près du but, tant nous étions à bout. C'est alors que toutes les manœuvres pour hâter la fin ayant été essayées, le bois s'épuisant, Jouve dit tout à coup : "Ça y est ... Ça y est, elle est touchée ... Elle tombe." Ce fut une explosion de joie. Les verres de vin circulaient, il y avait des cris, on s'affairait, la fin de la cuisson se passant, dans l'allégresse. Deux jours après, c'était le défournement. Dans le silence, on dégagea les premières briques brûlantes. Les pièces étaient là, chaudes encore, toutes vivantes, magnifiques. Jouve les retirait une à une, les gardait un moment dans ses mains, les suivant encore du regard quand elles circulaient de l'un à l'autre. Les émaux avaient lentement mûri pendant la cuisson interminable et triomphante. La fournée était splendide, sauf quelques pots dans le bas qui manquaient d'un peu de cuisson. Quand la totalité des pots fut disposée sur la table, Apollon (surnom de Jouve), comme en s'excusant dit, "Tu sais, l'autre soir, la montre, là... je lui ai donné un petit coup.". Il y eut un moment de stupéfaction, puis de clameur. C'était Jouve, qui, avec une baguette de fer, avait discrètement incliné la dernière terrible montre réfractaire, par pitié pour ma fatigue, au risque de compromettre gravement le succès final de l'entreprise et de tout son travail. Voilà comment il était."
Après ce séjour éphémère en Puisaye et cette cuisson épique, Georges Jouve retrouva son atelier parisien qu'il quitta en 1954 pour s'installer à Aix-en-Provence. Georges Jouve décède en mars 1964, l'année suivante la galerie la Demeure organise une grande exposition rétrospective posthume « hommage à Jouve, 20 ans de céramique ».
Parmi les expositions réalisées chaque été à Ratilly, on en retiendra trois consacrées à Georges Jouve, la première en 1956, intitulée « Céramiques de Georges Jouve Grès de plein feu de Jeanne et Nobert Pierlot » où l'on retrouvera les grès réalisés lors de la grande cuisson de 1953 ; puis en 1962 « Grès d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs » où il sera entouré de ses contemporains, notamment le maître potier japonais Hamada, ou encore Leach, Lerat, Mohy, de Vinck et Pierlot ; l'exposition eut un grand succès et sera reconduite en octobre au Musée des Arts Décoratifs de Paris sous le titre « Maîtres potiers contemporains ». Enfin en 1997, une exposition en hommage à Georges Jouve sera organisée au château.
Photos sauf mention contraire vente "Georges Jouve" Christie's Paris - Novembre 2016 ; Texte Emmanuel Nesly, 2017 - source :
Mobilier et Decoration N° 8 - Novembre 1954
GEORGES JOUVE 1965 par Miche Faré, textes Renée Moutard-Uldry & Norbert Pierlot
Ratilly, Centre d'art vivant : Livre des cinquante années d'animation culturelle du Château de Ratilly, 2009
Catalogue de l'exposition Hommage à Georges JOUVE qui s'est tenue au Chateau de Ratilly en 1997
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